Préface


Article de M. Henry LAFRAGETTE paru dans Cinéopse (sans date)

« Durant mon long séjour chez Gaumont de 1909 à 1919 comme créateur et rédacteur en chef du deuxième journal animé français, je les ai vus à l’œuvre ces braves opérateurs d’actualité qu’anime un zèle surhumain, et je sais ce qu’ils valent.

J’ai encore sous les yeux, cette vieille relique d’avant guerre, une lettre du Colonel GOYBET promu depuis Général, qui commandait alors à Grenoble un bataillon de chasseurs alpins.

Ce brillant officier à qui j’avais envoyé en 1912, un opérateur de prises de vues pour suivre les grandes manœuvres alpines, réputées cette année-là comme particulièrement difficiles et périlleuses, n’avait pu retenir un sourire de commisération en voyant arriver le frêle représentant de Gaumont-actualités ployant sous le poids d’un appareil presque aussi lourd que lui : « Mon pauvre garçon, vous ne pourrez jamais faire deux pas dans la neige avec tout ce barda » !

Le pauvre garçon, malgré sa chétive apparence, fit tant et si bien que, pendant près de trois semaines, nos petits « vitriers » ébahis le virent partir chaque matin en éclaireur, à la tête de leur colonnes, tantôt escaladant les rochers avec l’agilité d’un chamois, tantôt mettant son chrono en batterie pour les mitrailler au passage, dans les tournants dangereux…

Les manœuvres terminées, il repliait tranquillement bagages et regagnait Paris, le sac gonflé d’un des plus merveilleux documentaires dont puissent s’enorgueillir les archives Gaumont.

Quelques jours plus tard, le Colonel GOYBET m’adressait la lettre dont je parlais tout à l’heure, et dont le laconisme militaire est éloquent : « Je connais mes chasseurs qui sont des hommes, mais je ne connaissais pas les tourneurs de manivelle !… Vous m’avez appris à les connaître. Merci ! Avec une poignée de gringalets de la trempe de celui que vous m’avez envoyé pour les manœuvres, je me charge d’escalader le ciel… en m’accrochant aux nuages ! »

Ce stoïque gringalet qui depuis 1912, a fait plusieurs fois le tour du monde, de TERRE – NEUVE à la Terre de Feu, et de l’Afrique Occidentale aux confins du Turkestan, n’est autre qu’un des premiers pionniers du reportage : Lucien LE SAINT… un oublié… Et je dis moi, l’obscur témoin de tant d’héroïsme déployé sans forfanterie, qu’il est parfois réconfortant de secouer les vieilles poussières du passé… Ne serait ce que pour respirer un peu de gloire !…