HISTOIRE DE LUCIEN LE SAINT
J’ai débuté dans la photographie en 1897. Mes parents étaient établis dans le 19e arrondissement, et, tous les jours, je traversais le Parc des Buttes Chaumont pour aller à l’école. J’admirais les amateurs faisant de la photo ce qui m’en donna le goût. Je n’étais pas riche à cette époque et je débutais avec un appareil Franceville à 1 franc, ce n’était pas ruineux. On avait pour ce prix l’appareil, deux plaques 4X4, deux feuilles de papier de citrate, un flacon révélateur et un flacon virage fixage. Les clients de mon père s’intéressèrent à moi et je me mis à faire le commerce de photo en commençant avec des appareils à 5 francs. Le développement était surtout ma passion et c’est vraiment là ce qui m’a formé en photographie. J’avais plus de plaisir à développer une plaque, qu’à faire toutes les autres manipulations.
Je commençais à travailler pour le monde. Mes premiers travaux furent chez M. Mathurin MOREAU, le sculpteur ; je photographiais ses sculptures, ce qui me plaisait beaucoup.
Je travaillais pour les Frères LEOTARD, la Maison Blache, MULAUSSE, et puis j’obtins l’entreprise des travaux photographiques de la Ville de Paris, on devait monter pour l’Exposition universelle de 1900 un pavillon dans lequel on ferait voir l’égout ancien et les maisons modernes avec le tout-à-l’égout. J’avais donc à rechercher toutes les vieilles maisons dans le Marais, autour de Notre-Dame, la place Maubert, ainsi que la montagne Sainte-Geneviève. À cette époque je trouvais encore de bien belles choses du vieux Paris. Je photographiais également les Catacombes et les carrières d’Amérique. J’allais au Musée Carnavalet pour reproduire une assez grande quantité de vues du vieux Paris.
Entre-temps, je travaillais pour un ingénieur qui me fit faire, pour un livre qu’il préparait, une série de photos sur les tramways à traction de Paris, il n’y en avait pas encore beaucoup à cette époque. Je m’occupais aussi des travaux de la ligne du Métropolitain, rue de Rivoli pour la ligne des Boulevards Extérieurs. Je commençais à avoir beaucoup de travail, puis le service militaire vint tout interrompre.
Ma vie depuis la fin de mon service militaire jusqu’à la guerre.
En 1903, je sortais du régiment, réformé n°2 à la suite d’une petite opération nasale qui m’avait anémié. Rentrant dans la vie civile, je ne savais trop que faire. Mon père avait vendu sa maison de la rue Meynadier avec le fonds de photographie. Il remonta d’autres fonds dans différents quartiers de Paris, dans lesquels j’essayais à mon tour de remonter une affaire de photo, mais je n’étais plus connu.
N’ayant pas la patience d’insister, je rentrais à la Maison Gaumont, comme photographe, au service de la vérification et du réglage des appareils. J’étais un peu à toutes les sauces : tantôt travaillant à prendre des vues d’ateliers pour les catalogues, à d’autres moments, travaillant au réglage, vérification de l’optique et mise au point des appareils sortant de la fabrication. Et, à chaque fois que le réglage ne donnait pas suffisamment, j’étais toujours employé dans un service quelconque, jusqu’à la vérification des films qui devaient passer en projection, avant de les livrer à la clientèle. J’allais quelquefois aussi faire des photos sur le théâtre, puis, je réglais et mettais au point les appareils PRESTWICH qui devaient servir aux opérateurs. Tout cela contribua à me faire prendre goût au Cinéma.
À ce moment, en 1907, M. Émile COHL n’avait pas d’opérateur pour ses dessins animés, sa création. C’étaient les premiers que l’on faisait. Je demandais à être son opérateur, et c’est avec lui que je commençais à tourner. Je passais des heures avec lui, nos têtes sous 50 lampes de 25 bougies, à faire une image toutes les deux ou trois minutes. M. COHL pendant ce temps déplaçait ses petits fantoches ou dessinait. Ces premiers films eurent beaucoup de succès : « Cauchemars d’un fantoche », « Fantasmagorie », « Scarabée d’Or », « Le tout petit Faust », « Le petit Chanteclerc »… La préparation de ces films demandait beaucoup de temps à M. COHL avant de les tourner, ce qui fait que j’avais assez de temps de libre, et c’est là que commença « l’actualité ».
Pendant les semaines où M. COHL préparait son scénario et ses petits bonshommes articulés en carton découpé qui devaient évoluer dans ses dessins, je commençais l’actualité, mais l’actualité documentaire. Le journal filmé n’existait pas encore, et on ne se dérangeait que pour des choses importantes pouvant faire l’objet d’un film d’au moins 100 mètres. J’allais, par exemple, tourner les lancements, à un jour d’intervalle, des cuirassés « Diderot » et « Condorcet », et faisais figurer dans ce film, en plus des lancements, toute la fabrication et ce que l’on voit sur ces immenses chantiers de Saint-Nazaire, ainsi que le travail formidable des ingénieurs qui arrivent à libérer ces formidables masses de leurs étayes, jusqu’au moment où n’ayant plus rien qui les retienne en équilibre, équilibre prodigieux, ils glissent lentement sur le rail suiffé, et rentrent dans l’eau majestueusement. Et cela réussit pour ainsi dire toujours.
Pour ma part, et j’ai vu plus d’un lancement à Saint-Nazaire, je n’ai vu qu’une fois un départ manqué : « Le Rochambeau ». Moment d’émotion, instant grave, les hommes risquent leur vie en allant étayer à nouveau, mais il faut le faire, et vite. Tout réussit, et le lendemain il partait.Je profitais toujours dans un de ces voyages, de faire un petit documentaire, et cette fois-là, j’allais tourner la grande côte Sauvage entre Saint-Nazaire et Le Croisic.
Je tournais avec M. COHL la reconstitution schématique et animée de la bataille d’Austerlitz, ce qui m’obligea à rester pas mal de temps sans voyager, car toute une installation était nécessaire, et il me fallait m’en occuper moi-même. Avec les moyens dont on disposait à cette époque, ce travail fut difficile. Puis une fois terminé, tandis que M. COHL préparait « Le petit Faust », je m’occupais un peu de l’aviation et de l’aérostation : les premiers essais des WRIGHT, et de SANTOS DUMONT. Puis tout cela évoluant rapidement, les départs d’Issy-les-Moulineaux pour la coupe du Puy-de-Dôme. C’est ici le début du journal chez Gaumont.