Divers


Dans cette page j’ai regroupé quelques textes concernant de petites missions

Le Grand Erg

Je me rendais à Oran où je trouvais M. RICHARD et ses hommes embarquant les voitures sur le train d’Oran à Colomb-Béchar qui devait nous conduire à Beni-Ounif, d’où nous devions partir avec les voitures. Arrivés à Beni-Ounif nous trouvions le commandant LAFARGUE, vieux saharien, qui était notre chef de mission, chargé par la compagnie de cette organisation. À Beni-Ounif nous trouvons l’hôtel Transa tenu par Monsieur d’ALBEYRA et très bien organisé, nous restons deux jours, juste le temps de voir les voitures. Le soir le commandant fait un cours sur une carte pour apprendre aux chauffeurs comment se reconnaître au Sahara et montre les pistes qu’il à l’ intention de nous faire prendre. Cet homme connaissait si bien le désert que rien ne changea par la suite sur le tracé qu’il nous avait fait sur la carte, et rien ne pouvait être meilleur que ce tracé qu’il avait établi par ses calculs et ses connaissances du bled.

J’assistais toujours à ses cours qu’il nous refaisait par la suite à chaque étape et que je trouvais très intéressants. Nous quittons Beni-Ounif pour Targhit empruntant comme piste le lit de la Saoura, les six roues se comportent merveilleusement bien dans les sables, nous franchissons des obstacles et des dunes sans difficulté.

Nous atteignons le bordj (fort) de Targhit, tout près des grandes dunes de l’Erg, reçues par les officiers, nous couchions dans ce bordj, et ne repartions que le surlendemain matin, ce qui me permit cette journée de repos de prendre des vues de cette magnifique oasis. Pendant que les chauffeurs travaillaient à leurs voitures, je tournais une caravane campée à proximité, puis quelques scènes de la vie du bordj, je ne devais d’ailleurs pas trop m’étendre sur les scènes où n’apparaissaient pas les voitures. Le lendemain matin au départ, je prenais le passage des voitures dans la descente du bordj à travers la belle oasis, offrant des décors de toute beauté. Après une journée pénible par la chaleur, nous nous arrêtons beaucoup pour repérer la piste, car les chauffeurs devront par la suite faire ce trajet seul conduisant des touristes, le commandant ne serait plus là, il ne fallait pas perdre des clients dans le Sahara. Je prenais mes vues et le soir tard nous gravissions la côte de Beni-Abbes. On passa la nuit en campement au bordj, car il n’y avait plus d’hôtel pour nous recevoir, et nous amenions avec nous un gérant que l’on déposa à Beni-Abbes et qui devait veiller à la construction déjà commencée de l’hôtel Transa. Une journée encore d’arrêt ici pour les dispositions à prendre, et nous repartions le surlendemain pour le bordj Mac-Mahon où nous arrivions le soir. En plein désert ce bordj inoccupé représente un carré d’une cinquantaine de mètres de chaque côté, murs à créneaux dans l’épaisseur desquelles il y a des abris pour les troupes qui s’y enferment quand elles doivent combattre contre des rezzous et faire face de tous côtés au grand désert. Nous n’avons pas pu camper dans ces abris qui étaient remplis de scorpions et de vipères, et nous couchions cette nuit-là dans les voitures. Le commandant prit ses dispositions pour ce qu’il y aurait à faire pour le nettoyage de ce bordj, et y installer par la suite des nègres et des Arabes pour en faire une halte pour les touristes.

Le surlendemain au soir nous arrivions à Timimoun, bordj militaire occupé et important, car une des limites extrêmes du Sahara à l’orée du Tanezrouff. Le bordj est entouré d’un petit village arabe et à côté une grande construction presque terminée, à laquelle travaillaient des équipes de noirs et d’Arabes, c’était l’hôtel Transatlantique. Dans ces pays les lits étaient rares, les militaires, quoique très gentils, n’avaient pas grand-chose à nous offrir et l’on inaugura l’hôtel en nous installant avec des couvertures dans les matériaux. Le gérant était déjà là pour surveiller les travaux et il nous confectionna avec des moyens de fortune d’excellents repas. Le lendemain une importante caravane de chameaux venant du nord, arriva avec un chargement rien que pour l’hôtel. Je la filmais et ensuite je prenais des vues très intéressantes, avec l’aide du commandant du bordj, des danses d’Ouled-Naïds. Deux jours après nous quittions Timimoun pour faire route sur El-Gelea, tournant toujours autour du Grand Erg nous remontions maintenant vers le nord. El-Gelea, paradis des oiseaux, c’est là que tous les oiseaux du désert viennent se désaltérer, très belle oasis dans la ville arabe, très beaux jardins d’orangers. Ici, l’hôtel est à peu près dans les mêmes conditions d’avancement qu’à Timimoun, et le même campement dans les matériaux s’imposa. Ensuite ce fut Gardaïala, ville sainte où nous terminions le voyage avec les voitures. Ce devait être là par la suite la grande gare, et les mécaniciens s’installèrent ainsi que leurs voitures dans les bâtiments qui leur étaient réservés. Je quittais ces bons amis et prenais la voiture de service pour Lahouhat, où je prenais le train pour Alger, et un bateau trois jours après pour la France.

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Après la Terre de Feu, j’allais avec Monsieur MANDEMENT terminer un film que j’avais déjà commencé avec lui avant de partir à la Terre de Feu, sur la préhistoire, et nous tournions dans les grottes de l’Ariège. Ce film faillit mal se terminer, en allant à la découverte d’une grotte, passant tous les deux sur un radeau de fortune dans un endroit où il y avait 3 à 4 mètres d’eau et étant couchés sur nos planches, notre dos touchait la roche qui arrivait presque à l’eau.

M. MANDEMENT était tellement sûr, d’après ses calculs, que nous nous lancions dans ce trou noir. Arrivés de l’autre côté, avec un va-et-vient que nous avions établi, traînant une corde derrière nous, nos hommes nous envoyèrent dans des caisses à moitié immergées notre matériel. Les torches et les lampions bien emballés, tout cela nous arriva sans être mouillé et l’on découvrit une immense grotte de toute beauté que je photographiais. Mais pris par les fusées de magnésium nous repartions à toute vitesse, tirés par nos hommes. Notre radeau chavira, mon pied d’appareil fila au fond et accrochés, je ne sais comment, nos corps entièrement dans l’eau, nous atterrissions de l’autre côté à moitié asphyxié. Enfin nous avions une certaine fierté, nous étions depuis des siècles les premiers hommes pénétrant dans cette grotte… Nos deux noms et la date sont peints sur la roche dans le fond de la grotte de Niaux près de Tarascon de l’Ariège.

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Coupe LEBLANC – 1927 avec Ernest DEMUYTER

Un jour l’idée me vint de faire un film en ballon libre, j’allais chez Pathé-news. À ce moment-là, il fallait, pour leur proposer l’affaire, que le voyage ne soit pas quelconque, que l’histoire soit intéressante, comme disaient les Américains. Je choisissais donc la Coupe Leblanc, qui est toujours remplie d’imprévu. Ma proposition étant acceptée, j’allais de suite à l’aérostation pour leur demander s’ils pouvaient se charger de soumettre ma proposition aux pilotes engagés dans la coupe. Huit jours après, je recevais une lettre de DEMUYTER me disant qu’il acceptait de me prendre comme passager moyennant une somme de mille francs, à titre d’indemnité. Je lui répondis de suite « accepté ».

Quelque temps après, je recevais une autre lettre où il me disait de venir l’attendre le jour du départ de la Coupe à midi à la gare du Nord, il devait arriver de Bruxelles juste pour que nous filions de suite à Saint-Cloud, prendre le départ. Mon appareil bien équipé, 100 dollars dans ma poche (je prenais des dollars, ne sachant pas où nous allions tomber) je partis au rendez-vous. À l’arrivée du train de Bruxelles, j’aperçus un grand gaillard dépassant tous les autres. À côté de lui était son aide. Quelques compliments, un bock de café en vitesse, un taxi et en route pour Saint-Cloud. Nous passons, toujours en vitesse, rue de Grenelle pour avoir les renseignements météorologiques et nous arrivons au Parc. Plusieurs ballons étaient déjà presque gonflés et le premier départ allait se faire. Notre ballon était encore par terre, nous étions dans les derniers à prendre le départ. J’installais comme il faut mon appareil sur le panier d’osier, et tranquille de ce côté, j’allais au buffet me restaurer et faire des provisions pour le voyage, des camarades m’ayant conseillé de prendre mes précautions surtout avec M. DEMUYTER. Je bourrais mes poches de tout ce que je pouvais, pensant aussi à mes deux camarades de voyage, peut-être trop occupés en ce moment au ballon pour penser à ces choses ; je n’oubliais pas la bouteille de rhum pour les froids, surtout si nous faisions de l’altitude, et je revins au ballon. Il avait déjà bonne forme et approchait de la fin du gonflement. Je pris quelques photos pour les camarades de reportage et nous embarquons.

Quelques minutes encore, et le lâchez tout. Je tourne, je tourne : nous planons au-dessus de la Seine, puis nous allons vers le sud. Nous passons au-dessus de Paris, comme je le désirais, il fait beau. Nous nous maintenons à une altitude de 6 à 700 mètres. DEMUYTER commence à faire un drôle de nez : le ballon ne monte pas assez, et il veut ménager son lest. Tout à coup, il me regarde et dit : « Vous avez des provisions ? Donnez-les-moi ». Il faut obéir au pilote, qui est maître à bord, je lui donnais. À ma grande surprise, il jeta tout par-dessus bord. J’avais cru à un partage qu’il voulait faire, non pas, il lui fallait du lest, il prenait ce qu’il trouvait. Nous nous trouvions donc sans aucune provision, ne sachant pas combien d’heures nous aurions à rester en l’air. Cela ne lui suffit pas et il commença à faire découper le guide-ropp par petits morceaux et les faire jeter par-dessus bord, réservant son sable pour la fin, les difficultés possibles d’atterrissage. La nuit venait, et, le ballon s’alourdissant par la fraîcheur du soir, nous perdions la hauteur que nous venions de gagner. Nous voguions à environ 500 mètres, nous entendions tous les bruits de la terre.

La nuit était devenue complète, quoique claire. Nous étions sur la campagne, c’était maintenant le grand silence, rompu seulement par instant, par le hurlement des chiens gardiens de ferme, effrayés à la vue de notre ballon. Quelques villages que nous passions de temps en temps avec quelques lueurs blafardes, d’autres, plus importants, qui nous donnaient quelques bruits. Beau voyage, mais ce n’était pas ce qu’il fallait à M. DEMUYTER, le ballon était trop lourd. Je commençais à craindre que mon appareil subisse le sort de mes provisions. Enfin nous commencions à apercevoir les premières collines du Cantal, et nous perdions toujours de la hauteur.

Il était environ une heure du matin, nous passions Guéret, que nous laissions à notre droite. Je commençais à m’endormir dans le fond du panier quand, brusquement, me vint un ordre : « Allons, il ne faut pas s’endormir, levez-vous, tenez-vous aux cordes, et soulager les pieds, nous allons atterrir » ! Des petits coups de soupape, nous descendions et avions l’air de marcher beaucoup plus vite, nous rapprochant de la terre. La manœuvre devenait beaucoup plus difficile, n’ayant plus de guide-ropp. Nous étions au-dessus de creux et de bosses, la montagne commençait, nous étions trop près de la terre par moment, pour nous trouver plus élevés, tout d’un coup au-dessus d’un creux ou d’une vallée. DEMUYTER guettait son terrain, l’œil au sol, la main droite tenant la corde de soupape et du panneau de déchirure, du lest dans l’autre main.

Tout d’un coup, j’aperçois DEMUYTER donner un grand coup de corde, tout abandonner et se suspendre des deux mains. J’étais prêt aussi, je compris que nous allions atterrir : un choc, nous rebondissons deux ou trois fois, le panier se couche à terre, nous traîne, nous secoue, nous roule les uns sur les autres, puis, plus rien, le calme. DEMUYTER tenait toujours la corde du panneau de déchirure en main, il fit sortir son aide le premier pour aller presser sur l’enveloppe et faire sortir le plus de gaz possible.

Enfin jugeant qu’il n’y avait plus aucun danger, nous sortions de notre panier en nous dépêtrant des cordes. C’était un atterrissage de maître, nous avions un trou tout près de nous, nous étions dans un champ, terrain déjà en pente, il faut un as comme lui pour faire un atterrissage pareil sans guide-ropp.

Il était deux heures du matin, un dimanche. Un peu rompu par ce genre de sport, nous allions au village voisin, distant de 2 kilomètres, mais là impossible de nous faire ouvrir une porte, et comme c’était dimanche, il fallut attendre jusqu’à huit heures du matin pour nous réconforter. Prenant notre parti, nous retournons au ballon, où, pelotonnés tous les trois dans le panier, nous passions le restant de la nuit. Au matin, tout le monde arriva. DEMUYTER prit des hommes avec lui pour rouler l’enveloppe, je filmais toutes ces manœuvres. L’enveloppe bien pliée tenait et dépassait peu du panier, et tout le paquet fut chargé sur un petit camion automobile. Ce paquet représentait ce qu’avait été notre gros ballon imposant. DEMUYTER fit faire le procès-verbal de notre atterrissage par le maire et nous, et le ballon, allions-nous embarquer à une petite gare à quelques kilomètres de là pour Paris.

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À partir du 1er avril 1927, je passais une année chez Pathé-news, comme choses marquantes tournées : les nuits au Bourget pour les traversées de l’Atlantique, puis après l’arrivée de Lindbergh, l’arrivée de BYRD et de ses compagnons après l’accident survenu à MAXIME et MELLIN partis en voiture à Ayres, je couvris le reportage en partant en avion avec GIVEN. Puis l’avènement du nouveau Sultan à Rabat où je réussis l’exclusivité en partant en avion et arrivant premier. Ensuite mon grand film sur la Légion étrangère à Fez et enfin mon dernier reportage pendant lequel je ressentais les premiers maux de tête et quinze jours après je ne voyais plus clair. J’avais perdu mes yeux et fus forcé de m’arrêter. Ce dernier reportage était le départ des forçats à l’île de Ré le 6 avril 1928 où je réussissais à rouler le commissaire qui avait voulu me saisir mon film et auquel je donnais du film vierge au lieu de celui impressionné.