Armée


Pendant la guerre 1914-1918.

I

Chez GAUMONT le jour de la mobilisation, l’usine se vida presque complètement. Après les adieux et les paroles de réconfort à ceux qui partaient, Monsieur GAUMONT réunit le peu de personnel qui restait, après lui avoir assuré qu’il ferait tous ses efforts pour le soutenir, il annonça qu’il s’occuperait tout d’abord des familles de ceux qui étaient partis, ensuite, en termes très émus, il leur fit connaître son obligation de fermer l’usine momentanément.

Il garda les quelques indispensables pour la garde, et me demanda si, éventuellement je voulais être « correspondant de guerre » ; n’étant pas mobilisable ( réformé n°2 ) j’acceptais. Quelques jours après, en août 1914, Monsieur GAUMONT me dit : « Vous allez partir de suite à Lille, vous verrez Monsieur Rémy FES il vous facilitera votre passage en Belgique où vous vous rendrez, les Allemands y sont, mais arrêtés actuellement par les Belges qui leur opposent résistance ; vous tâcherez de récolter le plus de documentation possible ». Il me donna un certificat sur papier timbré, m’accréditant auprès des autorités, il me serra la main et je partis pour la Gare du Nord.

Après avoir fait faire un laissez-passer pour Lille, je pris mon billet et m’installais dans le train, ayant la certitude de pouvoir gagner la Belgique. J’étais tourmenté à l’idée que j’arriverais peut-être trop tard pour y trouver encore des Allemands… du reste certaines conversations ébauchées par des voyageurs de mon compartiment confirmaient mes inquiétudes…, arrivés à Arras, ordre nous fût donné de descendre, les lignes étant coupées.

Je ne me rendais pas compte de ce qui ce passait, loin de penser que les Allemands étaient tout près, tout le monde chuchotait ayant peur les uns des autres, regardant toujours son voisin comme un espion, moi avec mon appareil j’étais particulièrement remarqué et de ce fait ne réussissais pas à savoir grand-chose.

Malgré cela, d’après quelques échos, j’appris que l’on s’était battu à Bapaume dans l’après-midi, beaucoup de gens fuyaient empruntant des trains en partance pour Paris, de mon côté, après maintes recherches, je trouvais une chambre et me couchais attendant les événements. Le lendemain matin au réveil j’avais la première vision de la guerre. Les trains chargeaient, empilaient plutôt des blessés arrivant en débandade, à peine pansés et se traînant, les effets militaires en loques et pleins de boue comme s’ils revenaient déjà d’une campagne militaire de plusieurs mois, les moins éclopés soutenaient les grands blessés. Devant cette vision d’horreur je restais ahuri par cette chose aussi rapide que brutale, j’étais comme une machine devant ce tableau, par habitude mon métier prenant le dessus en moi j’allais chercher mon appareil et tournais. A ce moment je crus ma dernière heure arrivée la population voulant m’écharper, je n’avais aucune protection, mes papiers ne me servaient à rien, car l’État-major s’était retranché dans la nuit sur Amiens laissant seulement quelques hommes pour assurer et couvrir la retraite des blessés et qui par conséquent avaient autre chose à faire qu’à s’occuper de moi. Je battis en retraite jusqu’à ma chambre et réussis à expliquer mon rôle à une poignée de gens qui comprirent après avoir consulté mes papiers.

J’enfouissais mon appareil dans une voiture d’enfant, recouvrant le tout d’une couverture et suivais l’exode. C’était un long défilé sans interruption, encombrant la route et s’écoulant lentement, lamentablement, en direction d’Amiens ; tout le matériel roulant disponible était là : voitures d’enfants, voitures à bras chargées d’objets ramassés en hâte avant l’arrivée de l’envahisseur, les voitures attelées étaient réservées aux vieillards et enfants en bas âges, entre eux on avait empilé des objets pour remplir les vides.

Discrètement je prenais quelques vues en cour de route, mais n’insistais pas trop longuement craignant la démolition de mon appareil, je forçais la marche, dépassais la colonne et arrivais dans la nuit à Amiens où je trouvais de braves gens qui m’hébergèrent pour la nuit.Exténué, je me levais tard le lendemain matin, les personnes chez qui j’étais, près de la gare, avaient passé une nuit blanche, allant aux renseignements sans cesse. Je sortais donc pour aller voir ce qui se passait. Les trains partaient toujours emmenant les réfugiés et blessés qui arrivaient de tous côtés. Je réussis à prendre plus facilement quelques vues, et la journée se termina tristement avec la disparition du dernier train que je laissais partir. Dans l’attente de nouvelles nous nous demandions ce qui allait se passer.

Le lendemain matin, grande effervescence, tout le monde aux fenêtres en quête de renseignements, car l’on avait entendu de nombreux coups de feu dans la nuit sans savoir ce que c’était. Un cycliste affolé arrivant de Caman raconta que l’on s’était battu toute la nuit dans les faubourgs de ce village, je me risquais à partir avec mon appareil jusqu’à Caman. En arrivant, j’aperçus des traces de balles sur les maisons, les habitants étaient enfermés chez eux. Quelques-uns, les plus braves, passant la tête aux portes, me prévinrent qu’à environ cinquante mètres, à la sortie du village, des uhlans étaient cachés derrière une meule de paille. Je n’en croyais rien et m’enhardissais jusque là, j’étais bien certain au cas ou ils seraient là d’essuyer quelques coups de feu. Il n’en fut rien. Malgré tout des éclaireurs allemands rôdaient, ils avaient bataillé toute la nuit avec des artilleurs français qui cherchaient à poser des mines au pont de la Somme. Je tournais plusieurs vues de ce village et jugeais plus prudent de rentrer à Amiens.Arrivé à Amiens par le faubourg qui passe au pont de la Somme et dont fait suite le boulevard Extérieur, avec la gare à gauche un peu plus loin, en marchant vers la ville j’étais sur le trottoir de droite, derrière les maisons il y a le canal à une coupure de rue, tout à fait engagé sur la chaussée, deux coups de feu, comme un fouet que l’on aurait claqué près de moi. Je fais un bond en avant et aperçois un cycliste civil tué au milieu de la route. Ces deux coups nous étaient destinés, j’avais été raté, l’autre n’avait pas eu la même chance.

Deux uhlans étaient sur le bord du canal et tiraient sur tout ce qui passait. Je courus comme un fou, traversant le pont comme un bolide et une fois le quai passé je me mettais à l’abri dans la porte de la première maison. Je pus voir alors deux artilleurs débraillés, les yeux hagards de ne pas avoir pu déposer leurs mines, tirer leurs dernières cartouches et battre en retraite, disparaissant derrière les maisons ; c’étaient les deux derniers soldats français.

Un calme effrayant suivit, puis une heure après on entendit une musique douce au loin. C’était le « xach mein rein » qui se précisait de plus en plus en se rapprochant. Puis on aperçût des masses grises, elles passèrent le pont, c’était un régiment prussien, n’ayant pas encore combattu, ils rentrèrent au pas de parade, les cuisines roulantes fumaient sentant bon le fricot, notre fricot.

Ils s’arrêtèrent et mangèrent la soupe devant la gare, la halte fût de courte durée et ils reprirent la route de Paris, laissant une compagnie pour garder la ville. Quelques heures après, toutes les voitures disponibles étaient réquisitionnées dans lesquelles ils chargèrent vivres et fourrage volé par eux, ensuite elles partirent pour rattraper leurs troupes.

Je restais consterné me demandant ce qui se passait à Paris. Je venais d’assister à la fuite des nôtres, et à l’arrivée des troupes prussiennes qui venaient de traverser le Luxembourg, la Belgique et une partie de la France sans avoir combattu. Je croyais Paris à feu et à sang, et n’avais plus qu’une idée en tête : le rejoindre le plus rapidement possible.

Durant le passage des boches, comme un automate, par habitude de métier, j’avais essayé de prendre des vues, caché dans les maisons ( et non d’un toit comme le Ciné Miroir l’a montré avec un affreux trucage). Les habitants me conseillèrent de plier bagage et de ne pas montrer mon appareil.

Les Allemands ne nous disaient rien, mais il ne valait mieux pas leurs donner de motif à sévir… Je me ralliais à ce raisonnement et me mêlais aux badauds hardis qui allaient les regarder sous le nez.

Je m’aperçus que sous leurs beaux effets ils faisaient plutôt triste mine, ils avaient l’air inquiet, quelque chose se passait. J’eus l’intuition que notre retraite leur réservait quelques coups. Au passage de l’arrière garde un officier demanda à un Amiénois la route d’Ailly.

Ce brave homme lui indiqua sans vouloir le tromper la route d’Ailly sur Noye… Un moment après le même officier repassa avec sa compagnie, cherchant des yeux l’homme qui l’avait renseigné, furieux, tapant de sa cravache sur ses talons, puis pressée sans doute il partit. C’était Ailly sur Oise qu’il voulait, heureusement pour l’homme d’avoir eu l’idée de ne pas rester là.Quelques soldats allemands seulement restèrent à l’hôtel de ville. Des affiches furent posées invitant les habitants au calme, menaçant à la moindre infraction de bombarder la ville ( on sut plus tard qu’il n’y avait pas un canon autour ). Je restais quelques jours, partageant avec les habitants la bouchée de pain.

Enfin j’appris par la maison Herbette (voiturier ) que l’on pouvait filer par Piquigny et joindre Abbeville sans être inquiété par les Allemands, ceux-ci étaient trop occupés sur la Marne. Je me rappelle que la poignée de soldats restés pour nous garder se savait bien isolés et nous laissait passer parce qu’ils n’auraient rien pu faire.

J’arrivais à Abbeville sans encombre et allais trouver de suite mon cousin BREGEON, employé de chemin de fer à cette gare, qui me donna des nouvelles de Paris, me raconta l’arrêt sur la Marne. Je me reposais une nuit chez lui n’ayant plus autant de hâte, maintenant que j’étais rassuré sur le sort des miens. Je racontais mon histoire d’Amiens et d’Abbeville, l’on me croyait à peine.

Ce qui leur semblait extraordinaire était d’avoir pu franchir les lignes allemandes ; en quittant Amiens, j’avais aperçu tout juste, et de loin, la sentinelle allemande qui était devant l’hôtel de ville.Je rentrais à Paris en passant par le Tréport, il me fallut 23 heures à partir de Creil, les trains étaient les uns derrière les autres, et pour se dégourdir on les suivait à pied sur le ballast. Quand je rentrais chez moi, ma famille était déjà rassurée sur mon compte, car j’avais obtenu de pouvoir envoyer une dépêche d’Abbeville.

II

Rentré à Paris, je prenais mes dispositions pour repartir sur le lieu des opérations et tâcher d’aller le plus avant possible. Je me munissais du plus de recommandations que je pouvais avoir, et ensuite je préparais l’emballage de mon appareil, car il était de toute prudence de ne pas se faire remarquer avec cet engin. Les pièces d’identité que nous possédions n’étaient comprises que par les officiers et l’État-major, et ne servaient à rien devant un gendarme, dès l’instant où il vous avait remarqué avec un appareil ciné, vous deveniez un individu louche.

Il me fallait donc agir comme l’aurait fait un espion, jouer continuellement un jeu de cache-cache. Ayant l’appareil Gaumont de format très plat, j’arrivais à l’agencer dans un sac tyrolien, je me fis bricoler un pied avec des branches à emboîtage que je classais dans un large fourreau et que je portais dans un sac pour cannes et parapluies de voyage.

Le reste de mes accessoires dans une valise à main, il n’y avait plus d’appareil apparent, mais un voyageur chargé comme combien d’autres, déménageant ses affaires. De cette façon mes papiers en règle étaient regardés par le brave pandore auquel je disais simplement « affaires personnelles » et de la sorte j’arrivais à pénétrer dans la zone des armées. Une fois passé, je pouvais avec moins de crainte sortir mon appareil. Je tournais rapidement et rentrais le plus vivement à Paris pour ne pas garder avec moi les films impressionnés, documents trop précieux pour les risquer.

Un jour, je me trouvais caché dans un train de munitions allant sur Villiers Cotterets, quand quelqu’un arriva dans l’ombre avec de gros paquets, des choses informes dans des couvertures, venant se cacher comme moi. Je reconnus l’ami WILLY de « l’Éclair ». Nous avions eu la même idée, guettant depuis longtemps chacun dans un coin de la gare de Pantin, endormis d’un œil, nous attendions le départ de ce train. Nous ne savions pas, ni l’un ni l’autre, où il allait, mais il prenait la direction du front, seul objectif pour nous.

De suite nous décidions de ne pas nous quitter et préparions notre plan. Voilà ce qui fût convenu entre nous : de ne plus nous cacher. Puisque le train allait nous faire passer sans contrôle dans les lignes, de suite nous commençons à sortir nos appareils et à les disposer, prêts à fonctionner, et convenons que, quel que soit l’endroit où le train s’arrêterait, immédiatement nous sauterions à terre et tournerions comme si nous étions dans une situation régulière.

Le train stoppa en pleine gare de Villiers Cotterets. Comme projetés par le même ressort, nous étions en bas sur le quai en train de tourner ensemble, au milieu de soldats et d’officiers ébahis qui se prêtaient de bonne grâce à ce que nous leur demandions. Ensuite nous tournions des arrivées et des embarquements de blessés, nous prenions encore quelques vues dans le pays et nous nous engagions sur la route en direction du front.

Mais à la sortie du village nous étions cueillis par deux inspecteurs du 2ème bureau qui nous emmenèrent à l’État-major, là, interrogatoires, demande de papiers,… Ils nous laissèrent nos films, mais à condition de quitter les lignes (zone des armées) avant le coucher du soleil. Il était trois heures de l’après-midi, cela n’était possible qu’en empruntant un train de blessés, ce que je fis remarquer au Commandant tout en lui affirmant notre bonne volonté de lui obéir.

Mais lui faisant remarquer aussi, que devant l’impossibilité d’avoir un véhicule, il ne nous serait pas possible d’y parvenir à pied. Je le suppliais alors de nous donner un laissez-passer pour la gare. Il refusa en nous disant que nous n’avions qu’à nous débrouiller.

La tête basse nous nous dirigions vers la gare, quelques instants après nous étions dans le bureau du commissaire de gare. Après lui avoir débité notre histoire et lui avoir présenté nos papiers, il nous dit que nous avions de la chance, car il était lui-même directeur de cinéma, donc plus à même que n’importe qui de se rendre compte de notre situation. Il nous autorisa à monter dans un train de blessés. Comme le train faisait halte avant son arrivée en gare de Paris, nous sautions au milieu des voies, pressés de rentrer. L’on se quitta en se souhaitant bonne chance et à la prochaine, aussi enragé l’un que l’autre, avec la satisfaction d’avoir de bonnes images dans nos boîtes.

III

Quelque temps après à Albert avec l’ami RIBAR de chez Gaumont.

Quelques temps après je partais muni du même attirail, accompagné de RIBAR du même service que moi, nous décidions pour plus de facilité et pour diminuer la charge et le volume, de partir avec un seul appareil et que nous tournerions à tour de rôle, l’un servant d’aide à l’autre. Nous voilà donc partis à l’aventure prenant la direction d’Amiens où nous arrivions sans difficulté, bien entendu avec des laissez-passer. Nous couchions à Amiens et notre but étant toujours de gagner les lignes, nous partions le lendemain à l’aube, prenant la route d’Albert que je connaissais bien.

Nous y arrivions sans rencontrer âme qui vive, l’on se mit à tourner devant des ruines toutes fraîches et encore fumantes. Nous faisions cela précipitamment comme pressentant quelque chose devant ce trop grand calme. Au tournant d’une rue, devant un estaminet dont la devanture était crevée et le comptoir retourné, nous nous trouvons face à face avec deux gendarmes qui de suite nous firent rentrer dans le cabaret où ils avaient installé un bureau. Exhibition des papiers, interrogatoires, tout cela pour n’aboutir à rien, car ces gens à l’esprit buté ne voulaient rien admettre et ne parlaient de rien de moins que de nous faire fusiller.

Enfin pendant la discussion, deux officiers qui venaient de je ne sais où s’arrêtèrent pour voir ce qui se passait, l’un d’eux causait très bien le français, l’on s’expliqua avec lui. Il regarda nos papiers, discuta en anglais avec son camarade et ensuite intima l’ordre aux deux pandores de nous laisser partir, puis en nous serrant la main, il nous conseilla de rentrer à Amiens.

Le bombardement avait recommencé et l’on dut quitter Albert sans tourner de nouvelles vues. Après avoir remballé l’appareil, nous nous dirigeons de nouveau sur Amiens, satisfaits encore d’avoir pu conserver les films que nous avions tournés.

Nous arrivons à Amiens au petit jour après plusieurs étapes rendues obligatoires par notre chargement. Ne pouvant rester dans la contrée nous nous embarquons sur Paris avec le plaisir d’avoir été les seuls à prendre des vues à Albert.

Un peu plus tard, je rencontrais mon ami THOMAS à Nancy pendant la période où les Allemands lançaient des fléchettes sur cette ville. Les fléchettes lâchées d’une certaine hauteur par paquets tombaient en cône et lancées au centre de la ville allaient tomber jusqu’aux environs, vous atteignant dans tous les coins.

Nous étions là tous deux, toujours pour le même motif et l’on décida de rester ensemble. Monsieur MIRMAN allait tous les jours faire sa tournée de maisons en maisons, et dans les écoles, semant partout des paroles de réconfort et veillant à ce que les habitants manquent le moins possible des choses les plus nécessaires.

Après l’avoir tourné dans nombre de sorties, j’allais le trouver et lui faisait comprendre l’utilité du cinéma. Il me donna un mot de recommandation pour le Général JOPPE. J’allais au plateau de Malzéville où le chef d’État-major me dit que le Général était occupé et que l’on me donnerait la réponse le lendemain. Effectivement le lendemain je reçus réponse me disant qu’actuellement l’on se battait et l’on ne faisait pas de cinéma.Ayant appris que mon ami SYLVA était au commissariat spécial d’Épinal et après être retourné voir le Préfet et lui avoir conté la chose, je lui demandais un mot de recommandation pour son collègue le Préfet des Vosges.

Puisque je ne réussissais pas sur ce front, j’irais en chercher un autre. Il me dit que j’aurais de la difficulté à avoir un laissez-passer pour Épinal, je souriais, ayant mon idée. Il me souhaita bonne chance et je le quittais. Ne voulant pas abandonner mon compagnon, je promettais à THOMAS de le faire profiter de mes autorisations, et nous voilà de nouveaux partis dans une autre aventure.

Épinal était une place forte, il nous aurait fallu faire des démarches longues pour obtenir un sauf-conduit, tandis que pour la gare suivante cela ne donnait aucune difficulté. Nous prenions donc billet et sauf-conduit pour cette gare.

Arrivés à Épinal, nous descendions et nous nous faisions arrêter par SYLVA qui sévèrement nous mit à l’amende de l’apéritif pour le soir au Café du Centre. Il nous présenta à Monsieur LELUC son patron.

Cette affaire se liquida le soir au fameux Café du Centre, où l’on servait le petit Pernod ou le petit verre d’alcool dans une tasse à café afin que cela ne se voie pas. Cela ne se voyait peut-être pas, mais cela se sentait du milieu de la rue ! HANSI était à côté de nous, il n’aurait certainement pas pu dire combien il lui était passé de tasses sous le nez depuis le matin, le Café du Centre était son quartier général.

L’apéritif s’augmenta d’un souper que l’on offrit de bon cœur, et, ayant remis le mot pour le Préfet à Monsieur LELUC, qui nous promit de s’occuper de notre affaire et de nous faire avoir une autorisation du Général PULTZ, nous allâmes nous coucher.

Nous sommes restés trois semaines à Épinal, pour attendre la réponse du Général PULTZ, qui arriva, nous donnant l’autorisation de prendre des vues dans la région de Saint-Dié, et nous avisant d’avoir à nous présenter au Commandant de la place, qui nous ferait accompagner. Ces trois semaines avaient été un repos pour nous. Le jour nous tournions quelques petits à côté dans Épinal. Bien entendu sous le contrôle de l’autorité militaire, à laquelle nous avions été chaudement recommandés par nos amis, qui pouvaient d’ailleurs être tranquilles avec nous, soucieux de ne pas prendre de choses intéressant la Défense nationale. Le reste du temps, lorsque mon ami SYLVA était libre, chose assez rare, ce coin étant infesté d’espions, les inspecteurs travaillaient jour et nuit, nous restions avec lui. Le dernier soir nous avons eu le bonheur de dîner ensemble, et nous lui avons fait nos adieux, devant partir très tôt le lendemain matin.

Le train nous débarqua dans un petit pays, dont le nom m’échappe, et, grelottant sous la neige qui tombait dru, nous attendîmes près de deux heures la voiture qui devait nous conduire à Saint-Dié. Empilée avec quelques personnes dans cette carriole, cahotée, ayant froid, la route fut très pénible jusqu’à Saint-Dié où nous arrivâmes dans la soirée. Le lendemain matin nous nous présentions au Commandant de Place, qui, à coup sûr pour nous influencer, nous reçut dans la salle du tribunal, salle immense où nous n’étions que tous les trois, le Commandant nous faisait face, et tous les deux l’un contre l’autre, nous étions presque au garde-à-vous.. A ce moment, un témoin nous voyant aurait pu croire que nous subissions un interrogatoire, le Commandant parlait très fort, nous donnant à peine le temps de lui répondre.

Sa voix résonnait, formidable, dans cette grande salle. Il n’aimait pas le cinéma, et , malgré l’autorisation dont nous arguions à tout moment, il cherchait, par tous les moyens possibles, à entraver notre mission. Ayant la permission du grand chef nous avons tenu bon, et, furieux, il céda enfin, mais nous fit accompagner jusqu’aux lignes par deux gendarmes, deux brutes choisies pour la circonstance.

Les pandores se tenant de chaque côté de nous, nous avions plutôt l’air de deux prisonniers que de deux hommes autorisés par le Général à recueillir des documents de guerre. Fort heureusement, nous avons trouvé des officiers plus intelligents qui renvoyèrent nos deux cerbères et nous facilitèrent le travail.

Pour notre rentrée à Nancy, le brave Commandant de Saint-Dié eut la gentillesse de mettre une voiture militaire à notre disposition, mais il en profita pour nous donner comme compagnon de voyage, un fou revêtu de la camisole de force et un gendarme, son gardien. Épouvantable voyage, dont je garderai le souvenir toute ma vie. Si l’on publie ces notes, il faudrait demander à THOMAS de Pathé-Nathan de raconter lui-même l’interrogatoire du fameux commandant. C’était moi qui étais surtout interrogé, l’autorisation étant à mon nom. THOMAS n’avait qu’à se tenir au garde à vous et écouter. Il raconte la chose très drôlement, l’ayant bien retenue.

Après Saint-Dié, nous rentrons à Paris. Monsieur … lance son fameux cri « des canons, des munitions », et toutes les usines se mettent au travail avec acharnement. Monsieur … me fit appeler et me dit que le ministre de la Guerre demandait des films de toutes les usines. Je lui fis remarquer que, l’éclairage de ces usines étant insuffisant, il était nécessaire d’employer l’éclairage artificiel, et je lui demandais, chose assez difficile pour l’époque où l’on ne disposait pas encore de matériel d’éclairage ambulant, d’emporter sur un camion des groupes de lampes Bardon de théâtre.

Arrivé sur place, je pensais me débrouiller pour les installer avec de l’aide que je trouverais dans les usines, ne pouvant pas disposer de personnel spécialisé. Monsieur … accepta, et je commençais par l’usine Renault, faisant à la fois l’électricien et l’opérateur. J’ai eu beaucoup de mal, mais je crois que la maison Gaumont a eu, à cette date, le meilleur film sur cette usine. Je continuais mon petit travail par les usines de Paris et les environs, aviations et autres, et enfin, un grand film sur les usines de Saint-Chamond, avec le Colonel RIMILHO, qui me fit l’honneur de me féliciter de mon travail.

Le Ministère de la Guerre commençait enfin à apprécier, à comprendre un peu mieux les services que pouvait rendre le Cinéma, et une section photographique et cinématographique commençait à se former, sous les ordres de Monsieur CROZE, mais il n’y avait pas encore de cinématographiste militaire et les opérateurs étaient recrutés dans nos maisons.

IV

Fin août 1915. Départ pour la Belgique.

Encore une fois, Monsieur GAUMONT, me faisait demander : il s’agissait d’une affaire tout à fait importante, le gouvernement belge n’ayant pas encore de section de cinématographie avait demandé à l’agence Gaumont de Bruxelles de lui fournir un opérateur. Cette agence n’avait à ce moment qu’un opérateur qui venait d’être mobilisé dans l’aviation : le pilote GOEBBELS. On lui demanda conseil, et me connaissant, il me désigna. Le gouvernement belge me demanda donc à Monsieur GAUMONT.

Je devais prendre des films sur tout leur front, depuis les premières jusqu’aux dernières lignes. Je partis pour Dunkerque, où j’avais rendez-vous avec GOEBBELS, qui me conduisit à Heuteum au G.Q.G. .

La, on me munit de toutes les autorisations nécessaires pour circuler librement, et le soir, j’allais coucher à La Panne, avec GOEBBELS. Le lendemain, je commençais le travail qui me plut le moins de toute la campagne, non pas qu’il ne m’intéressait pas, au contraire, mais le moyen de transport que j’étais obligé d’employer à toujours été celui que je déteste le plus : le cheval.

Ce que j’ai pu souffrir à ce moment sur mon carcan ! On m’avait choisi le cheval le plus doux, mais il était énorme et, pour moi petit homme, à la montée et à la descente des dunes, ou le cheval avaient une inclinaison telle qu’il était presque sur ses pattes de derrière, je devais être du plus grand comique, à en juger par le sourire ironique des cavaliers que je rencontrais.

Enfin, ma grande souplesse me permit de me tirer assez bien d’affaire, mais je me ressentis plusieurs jours de cette équipée. Je pris ensuite quelques vues en avion pour donner une idée générale des lignes. Nous partions lorsque les chasseurs avaient exploré le terrain et que nous avions à peu près la certitude que les Allemands nous laisseraient tranquilles pendant nos prises de vue.

Ensuite, je tournais les tranchées de deuxième et première lignes, que l’on joignait en passant sur des planches faisant passerelles sur les vastes plaines inondées et sous le feu incessant des deux artilleries.

Les Belges avaient leurs pièces disposées parallèlement aux lignes, dans le village de Ramscapelle, où elles étaient camouflées dans les ruines, sous des amas de briques, car il ne restait plus grand-chose du petit village. L’artillerie ennemie était en face et s’était sous cette voûte de feu qu’il fallait traverser, passage plus impressionnant que dangereux. Le danger était plutôt avant d’arriver à Ramscapelle.

Je passais toujours par la route longeant le canal de Zeebruges avec une voiture militaire, l’endroit le plus mauvais était une fameuse route longue, autant qu’il m’en souvienne, de deux kilomètres environ. Il nous fallait, pour franchir ce passage, attendre que les Allemands aient envoyé une marmite sur une usine en ruine, usine que les ennemis bombardaient régulièrement croyant que nous y dissimulions des pièces. Une fois l’obus tombé, nous passions, courbés, le pied écrasant l’accélérateur, redoutant la panne. Une fois de l’autre côté, l’obus suivant tombait, réglé comme le tic-tac d’une montre.

Après Ramscapelle, travaillant de droite et de gauche, circulant dans les tranchées de toute cette région, je prenais une documentation assez fournie, vers la fameuse Maison du Passeur, toujours sous des bombardements intermittents, puis Ypres me retint pendant une semaine. C’est à Ypres que je me suis approché le plus des Allemands : en montant sur une maison en ruines, près du poste belge, je voyais nos ennemis à quelques dizaines de mètres, et je me faisais déjà passer mon appareil pour prendre des vues quand l’officier du poste m’en empêcha en me priant de descendre.

C’est la seule fois que je me suis fait rappeler à l’ordre, mais cette fois, j’avais vraiment dépassé les limites et il y avait danger pour tout le monde par le repérage que je procurais à l’ennemi. Je tournais beaucoup dans Ypres, puis je terminais ma mission à Bailleul. Presque tous les soirs, je revenais coucher à La Panne, sauf quelques nuits que j’ai passées dans la tranchée, lorsqu’il me fallait être de bonne heure à une place le lendemain matin. A La Panne, je couchais dans un hôtel où logeaient des aviateurs ; le 25 septembre 1915, je crois, un soir en rentrant, nous apprenions l’enfoncement des lignes ennemies en Champagne.

Ce fut une explosion de joie, les vins coulèrent à flots, chacun racontait des histoires et faisait son petit stratège, expliquant que, le front enfoncé dans cette partie, les ailes opéreraient de telle ou telle façon, enfin toutes les langues marchaient et les tables se couvraient de petits plans ou de petits dessins venant à l’appui d’une thèse hardie. Je quittais nos amis belges pensant presque rentrer à Paris pour courir avec nos troupes à la victoire. GOEBBELS m’accompagna jusqu’à Dunkerque, où il me quitta en me reprenant tous les papiers à mon nom que m’avait délivré le G.Q.G. belge.

V

Au mois de janvier 1916, je quittais la maison Gaumont pour entrer aux archives de la Planète, dirigées par Monsieur Jean BRHUNES, professeur au Collège de France et patronné par Monsieur Albert KAHN. Je commençais à me mettre en route pour continuer cette documentation de guerre avec plus d’ardeur que jamais, ayant de gros crédits à ma disposition, quand je passais au conseil de révision et fut versé dans l’auxiliaire, 20ème section de S.E.M.

Là je demandais à être aussitôt versé à la section cinématographique de l’armée. Huit jours plus tard, j’étais au Palais Royal avec le Lieutenant Pierre MARCEL et, comme premier travail, je recommençais l’usine de guerre, aviation, Issy-les-Moulineaux, Villacoublay,…, puis, toujours pour l’usinage, je retournais chez Renault, Salmson,…enfin, je partais à Jonchery-sur-Veles, à la 5ème armée, où pendant longtemps, j’allais tous les jours à Reims, interrompant souvent la prise de vue pour échapper à l’averse continuelle des projectiles, et allais me mettre à l’abri sous des sacs de terre placés sous le porche de la cathédrale.

Après diverses allées et venues jusqu’à Paris, je revins à cette armée pour tourner tout le secteur de Berry-au-Bac à Reims. Je terminais ce travail en passant une fort mauvaise nuit au Fort (je devrais dire la Termitière) de la Pompelle où, à cause d’une attaque, nous étions restés deux jours et une nuit sans bouger de nos trous. Aussitôt que je pus sortir, je tournais ce qui me parut intéressant dans les boyaux et aux postes que je rencontrais tout en retournant vers Jonchery.

J’arrivais à Jonchery pour m’entendre dire par le lieutenant de JOUVENEL, qui était notre lieutenant informateur, qu’il fallait déménager tout de suite et descendre à Cumières, où le Q.G. nous rejoindrait, car on reculait dans ce secteur. Pendant ce retour, je tournais les déplacements des troupes, puis je restais à Cumières où le Q.G. arriva deux jours après. N’ayant plus de voiture à notre disposition pour nous approcher des lignes, nous reste là à attendre les événements.

Mais huit jours après, ayant ramassé des gaz dans les boyaux, je fus pris d’une gingivite si forte que mes dents de la mâchoire supérieure tombèrent toutes seul, et je dus demander mon remplacement à Paris. Le lendemain, SAUVAGEOT arrivait pour prendre ma place, et le soir, il m’accompagna jusqu’à Épernay où je devais prendre le train dans la soirée. Seulement, après avoir dîné tranquillement dans un restaurant sur la place du marché, nous allions faire un tour avant le départ, quand, entendant un sifflement, nous nous arrêtâmes. La grande musique commençait : c’était le grand bombardement de la fameuse nuit qui mit Épernay en ruines.

Nous avons passé cette nuit-là à aider les femmes et les enfants affolés à se mettre à l’abri. Je ne prenais mon train que le lendemain matin, mettant la journée entière pour arriver à Paris. La nuit avait été dure à Épernay, je m’en souviendrais toujours, et, le temps dont j’eus besoin pour me soigner me permit de prendre un repos dont j’avais bien besoin.

VI

En 1918, je fus détaché avec le lieutenant HUIMANS, des services techniques de l’aviation, pour faire une documentation complète sur les écoles. Nous étions trois opérateurs principalement occupés à ce travail : Messieurs COSTIL et BEAUDOIN de chez Gaumont, et moi. Je commençais à aller avec BEAUDOIN à Châlons-sur-Marne (4ème armée) et Mourmelon, pour recueillir une documentation sur l’aviation du front, où la vie n’était pas toujours rose, recommençant pour aller rechercher les coins camouflés où se trouvaient avions et pilotes, attendant le boche ou un ordre de partir en reconnaissance.

Nous recommencions la promenade éreintante dans les boyaux, puis après plusieurs semaines nous rentrions pour finir ce grand travail, sur l’arrière, où nous allions avoir à travailler dans les écoles d’aviation (Étampes, Avord, puis Pau ) où je partais cette fois avec Monsieur COSTIL, pour l’école d’acrobatie et de tirs en avion. Nous étions tous les jours l’un et l’autre sur un zinc n’ayant que des prises de vues à prendre en l’air. Nous étions toujours avec les chefs pilotes SESPIAU ou CAGNAU, pilotant un Fokker et un Rumpler pris aux boches.

Alsaciens, ces pilotes connaissaient mieux que tout autre ces appareils, qui convenaient mieux pour nos prises de vues. Pour l’entraînement de ces tirs, des ballons remorquaient de petits ballons rouges et les élèves tournants autour, les crevaient pour s’exercer à la mitrailleuse ; allant dans leur entourage, c’est ce que nous prenions.

Puis, à l’école d’acrobatie, avec le lieutenant SIMON, nous prenions les jeunes pilotes faisant des vrilles ou des tonneaux, ce qui permettait plus tard de leur montrer en projection au ralenti comment leur appareil se comportait quand ils exécutaient ces exercices. Avant de quitter Pau, j’allais avec SESPIAU prendre des vues au-dessus des Pyrénées, survolant très bas le cirque de Gavarnie, puis les pics neigeux, ceci pour donner un peu de variantes au film.

Nous quittions Pau pour nous rendre à l’étang de Cazaux, et refaire à peu près le même travail avec les hydravions. Une seule aventure : avec HENNEBIQUE, après nous être envolés un peu tard avec un plafond bas, je demandais à HENNEBIQUE, par le moyen habituel du petit papier griffonné, de monter plus haut pour tourner des mers de nuages. On creva donc le plafond pour arriver dans un ciel pur, un soleil resplendissant, et sous notre appareil, des balles de coton roulant, poussées les unes sur les autres, nous donnant l’impression que, si l’on sautait de l’appareil, on viendrait se poser moelleusement sur cette mer de fée.

Les éclairages produits par le soleil déjà très bas étaient du plus bel effet, mais le soleil était trop bas, et HENNEBIQUE fonça dans le brouillard. Le décor changea tout d’un coup, nous tombions dans la nuit, apercevant à peine les petites lumières de la terre, vacillantes par le brouillard.

Descendants, nous nous trouvions tout à coup au-dessus d’Arcachon, croyant être sur Cazaux. HENNEBIQUE, avec son adresse, se repéra d’un coup d’œil, tira sur le manche et quelques minutes après, le bimoteur Caudron, malgré le mauvais temps et le peu de lumière qu’il y avait sur le terrain, se posa tout doucement et retrouvant Monsieur COSTIL, qui nous attendait un peu inquiet, nous allions tous les trois souper à la baraque de l’Ancien Forain, le seul restaurant de Cazaux. Ensuite je partais avec Robert BAUDOIN, à Saint-Raphaël, à l’école d’hydravions de la marine. Très souvent, dans ce centre, nous partions tous les deux à bord du même appareil, dans ces coques larges, nous pouvions le faire et trouvions plus de facilité à l’exécution de notre travail, tournant à tour de rôle, l’autre soutenant et orientant l’appareil cinéma.

Le paysage est très joli dans les environs de Saint-Raphaël, et nous avions à faire. Un jour, nous commencions à descendre pour l’atterrissage et nous étions au-dessus de Sainte-Maxime, nous nous apprêtions à tourner dans cette descente en spirale qui nous rapprochait de la terre dans un mouvement tournant du plus bel effet, quand BAUDOIN m’envoya un grand coup de poing dans le côté et me montra du doigt l’aile droite : elle était tout simplement en train de se détacher, les tendeurs prenant de plus en plus de mou, rien à faire que d’attendre. Prévenir le pilote n’aurait servi à rien, puisqu’il atterrissait, pardon, amerrissait.

Pendant que nous nous concertions, la descente s’effectua et nous touchions l’eau sans casse. Le pilote nous félicita de n’avoir rien fait, il n’y avait rien à faire, et nous avoua qu’il était temps. Je note en passant que ces sortes d’accidents étaient plutôt rares, et cependant, il y aurait une grande excuse avec l’intensité de fabrication et le personnel instable que la guerre imposait.

Comme j’ai vu les choses de près, je peux dire que les constructeurs ont fait des miracles. Rentré à Paris, je continuais toujours cette documentation sur l’aviation, et je tournais le travail des femmes dans les ateliers des différentes maisons d’aviation, à Issy-les-Moulineaux.

Le 11 novembre 1918, j’étais chez Caudron en train de prendre l’entoilage des ailes et me dépêchais pour finir ce travail avant le déjeuner, quand le canon tonna pour annoncer l’armistice. Ce fut la grande folie, tout le monde quitta son travail, je fus entraîné, bousculé, presque porté avec mon appareil au-dehors. Tout le monde criait et beuglait. Je n’arrivais qu’avec de grandes difficultés à me sortir de cette masse et de trouver à monter à un étage pour tourner les gens.

Ils venaient me trouver à la fenêtre, passant leurs chapeaux devant l’appareil, me prenant pour m’entraîner au-dehors, sous prétexte que c’était mieux, tout cela en chantant et en hurlant. Je n’étais plus maître de moi et quand je sortis de cette foule, mes boîtes magasins étaient ouvertes et le peu que j’avais pu tourner était en partie voilé. J’étais rompu comme si j’avais reçu une volée de coups de bâton. Les jours suivants, on ne chôma pas avec les événements parisiens et les fêtes, puis j’allais tourner l’entrée des troupes à Strasbourg, puis restais quelque temps en Alsace et en Lorraine, suivant à la manivelle tous les événements.

Rentré à Paris, je fus détaché au bureau d’études et de propagande d’Alsace-Loraine avec le capitaine LERCY, rue de Bourgogne et je tournais au théâtre de Joinville avec comme metteur en scène Monsieur Théo BERGERAT, où nous tournions à tour de bras des films destinés à être glissés dans tous les programmes des cinémas.

De la rue de Bourgogne, je passais à la Place de la Concorde, même service, mais avec le capitaine DUFOURCQ, pour continuer le même travail, puis enfin quelque temps avant le jour où je devais être démobilisé, le capitaine DUFOURCQ, en novembre ou décembre 1919, me demanda si je voulais partir avec le général GOURAUD, qui allait occuper la Syrie.

J’acceptai, et comme le général partait deux jours avant ma démobilisation, les formalités furent faites avant le départ et d’accord avec Monsieur KAHN, qui avait offert de prendre les frais à sa charge, tout s’arrangea et j’embarquais avec le général à Toulon sur le WALDECK-ROUSSEAU.